Ne t’en va pas

Publié le par Campus-j

Ne t’en va pas

C'était sur un trottoir que je l'avais vue. Cette petite fille de deux ans. Son père la portait avec un bras, tellement elle était petite. Et pourtant, l'air qu'elle respirait était nauséabond. En effet, quatre poubelles vertes envahissaient le bord du trottoir. Gigantesques, affreuses, elles n'accomplissaient en rien leur rôle de "poubelles". D'ailleurs, on aurait pu les confondre avec d'autres ordures, tellement il y en avait. Partout. Absolument partout : dans les poubelles, hors des poubelles, sur la route, sur le trottoir, sous les pieds de ce jeune papa. Ce dernier voulait juste faire une petite course, et ne pouvait garder sa fille seule à la maison. Mais il ignorait qu'il valait mieux qu'elle y reste, à l'abri de ces montagnes de saletés qui risquaient d'envahir ses poumons.

Je ne comprends plus rien. Parce qu'avoir notre sécurité en danger ne suffisait plus, il a fallu que notre santé soit menacée elle aussi? Tellement de gens veulent s'en aller. Tellement de gens partent, et ne reviennent plus jamais. J'envisageais d’ailleurs moi-même, de fuir. Fuir ce pays où rien ne va. Et puis une petite voix au fond de mon cœur m’a dit :

« Quand tu sens que tu veux quitter le Liban et t'enfuir loin d'ici ; quand tu préfères vivre au fin fond d'un trou, au milieu de nulle part, n'importe où, mais loin d'ici ; quand tu sens que c'est à un autre univers que tu appartiens, quand tout ce qui t'entoure semble t'étouffer, t'étrangler ; quand ta raison, rongée d'amertume et de dégoût, te dit "va-t’en", mais que ton cœur t'oblige à rester ; ne t'en va pas, reste. »

- Pourquoi me dis-tu de rester ? Pourquoi dois-je rester alors que tout me pousse à m'en aller ? Comment puis-je encore changer ce chaos immuable ? Vaincre cette invincible corruption ? Gagner ce combat perdu d'avance ?

- C'est là que tu devrais te mettre à respirer, et puis méditer. Tu me diras que respirer, c'est inné. Je te répondrais que respirer demande de la volonté. Respire... Respire et réalise qu'où que tu sois, tu es toujours en vie. Tu es en vie et c'est à ce pays que tu appartiens. Et tant que tu es en vie, tu peux faire la différence. Fuir c'est pour les lâches, crois-moi.

- Respirer ?! Est-ce toujours possible de respirer dans de telles conditions ? Est-ce toujours possible de vivre? L'air, supposé nous vitaliser, nous asphyxie ici. Alors dis-moi, petite voix insensée qui émane du fond de mon cœur, comment puis-je rester?

- La vraie question n’est pas de savoir si tu peux rester, mais si tu veux rester, si tu veux te battre. Car n'oublie jamais que je ne viens pas de nulle part, sinon tu ne m'écouterais pas. Tu l'as dit toi-même : j'émane de ton cœur à toi, et je suis ta voix."

Sarah Abou Moussa, FM

Publié dans Perspectives

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